[Communiqué] Réponse du collectif et ses partenaires suite à la signature de la convention de passage sur deux sentiers de la réserve des Hauts de Chartreuse

Signature de la convention de passage sur deux sentiers des Hauts de Chartreuse : pourquoi il est trop tôt pour célébrer

Mercredi 17 juillet 2024, le département de l’Isère organisait une conférence de presse au col de Marcieu pour annoncer la signature d’une convention de passage et l’inscription au Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) de deux sentiers du vallon de Marcieu dans la Réserve Naturelle Nationale des Hauts de Chartreuse. Le président du Département de l’Isère (Jean-Pierre Barbier), le Préfet de l’Isère (Louis Laugier), le président du Parc Naturel de Chartreuse (Dominique Escaron) et le propriétaire (Bruno de Quinsonas) étaient présents pour se réjouir de cette sortie de crise « par le haut ».

Annoncée et attendue depuis de nombreux mois, cette convention permet de nouveau aux randonneurs d’accéder aux deux sentiers principaux autrefois balisés :

  • Le sentier traversant le vallon de Marcieu du nord au sud (ancien tracé du GR9), reliant l’Alpette des Dames au col de Bellefont ;
  • Le sentier de liaison allant de l’Aulp du Seuil au vallon de Marcieu.

Les deux sentiers étaient interdits d’accès depuis près d’un an, tout comme les 800 hectares qui les entourent (soit 18 % de la réserve). Leur réouverture aux randonneurs constitue donc un retour à la situation d’origine pour ces pratiquants, et elle permet enfin de clarifier la situation d’un point de vue juridique. Bien qu’elle arrive tardivement, la signature de cette convention était nécessaire, c’est pourquoi nous nous en réjouissons. Cependant, ce document reste largement imparfait et insuffisant : sa signature n’est qu’une première étape qu’il sera rapidement nécessaire de dépasser.

Une convention tardive et insuffisante

Tout d’abord, cette convention rattrape un retard de près de 30 ans, puisqu’elle aurait dû être signée lors de la création du PNR de Chartreuse.

Par ailleurs, cette convention n’a pas fait l’objet d’une concertation élargie. Elle a été négociée directement entre les services de l’État, le Département, le Parc naturel régional de Chartreuse et le propriétaire, et nous regrettons qu’aucune fédération1, association, syndicat ou collectif n’ait été consulté pour apporter un avis éclairé, représentatif des pratiquants de montagne, lors de l’élaboration de ce document. Le Comité Consultatif aurait dû être le lieu légitime de cette discussion sur la gestion de la Réserve naturelle, il est incompréhensible que ce Comité n’ait pas été impliqué non plus.

Enfin, cette convention ne concerne qu’une activité (la randonnée), et sa portée se limite à un total de 7 km de sentiers sur les 25 km que nous avons recensés sur le domaine. Ainsi, de nombreuses activités (escalade, alpinisme, ski de randonnée, raquettes à neige, spéléologie) et secteurs restent interdits à ce jour. Cette convention ne satisfait donc pas les demandes de nos associations car elle ne permet pas l’accès plein et entier à la Réserve naturelle et à une longue liste de sites remarquables (près de 50 sites parmi lesquels figurent les Lances de Malissard, les crêtes du Grand Manti, des arches et des sangles remarquables, …).

Des arguments insincères

Cette convention ne s’attaque pas au cœur du problème : près de 800 hectares restent interdits au public sans raison valable. Pire : pour justifier cette interdiction, le Département et le propriétaire multiplient les contre-vérités.

  1. Un site sur fréquenté ?
    Une des raisons avancées pour restreindre l’accès au vallon de Marcieu est sa sur fréquentation : la Réserve naturelle des Hauts de Chartreuse aurait connu une hausse significative de sa fréquentation ces dernières années, et l’interdiction d’accès permettrait au propriétaire de protéger son terrain de « hordes déferlantes de curieux irrespectueux sans foi ni loi.2 »
    La réserve naturelle en tant que lieu de fraicheur, de beauté et de ressourcement cerné par trois pôles urbains, connaît effectivement une fréquentation importante de l’ordre de 300 000 personnes par an selon les données communiquées par le PNR, contre 250 000 en 19993. En revanche, aucun chiffre actualisé ne permet de démontrer que depuis 2020 la fréquentation a considérablement augmenté au sein de la Réserve naturelle. Qui plus est, il a été démontré que le territoire de M. de Quinsonas est le moins fréquenté de la Réserve des Hauts de Chartreuse, avec une moyenne de moins de 3 000 passages par an dans le vallon de Marcieu4, les visiteurs lui préférant les sites du Granier (10 fois plus de passages), du Cirque de Saint-Même (5 fois plus), ou de la Dent de Crolles, plus faciles d’accès.
  2. Une biodiversité insuffisamment protégée
    La sur-fréquentation supposée des terrains de M. de Quinsonas mettrait en péril la bonne préservation de la biodiversité. Cette convention, en « canalisant » les randonneurs sur les deux sentiers autorisés et en leur interdisant de s’en écarter, permettrait donc de préserver la faune et la flore fragiles du vallon de Marcieu.
    Avant toute chose, le rôle de préservation de la biodiversité de la Réserve revient à son gestionnaire, le PNR de Chartreuse. Celui-ci dispose d’une équipe d’agents qualifiés qui veillent au respect de la réglementation en vigueur et assure la sensibilisation du public : ce n’est donc pas à un propriétaire terrien de se prévaloir de ce rôle.
    Qui plus est, les chasseurs de chamois, mouflons et tétras-lyres ne se privent pas pour piétiner la flore et déranger (bel euphémisme) la faune entre septembre et fin février chaque année. La chasse est pourtant absente des communications du département de l’Isère et de son Président. Les discussions sur l’impact de la chasse dans la RNN et sur la diminution des populations de Tétras lyre sont également absentes, dans ces communications comme lors du dernier Comité consultatif de la Réserve. Ce deux poids, deux mesures ne facilite pas la compréhension – donc le respect – de la règlementation par les randonneurs.
    Nous rappelons également qu’une réglementation particulièrement stricte est en vigueur au sein de la Réserve naturelle (interdiction de faire du feu, de promener son chien, de cueillir des plantes, ou encore de bivouaquer sous tente entre juillet et août). Ces règles sont bien respectées, le nombre d’incivilités est en baisse6 et aucune étude scientifique ne vient corroborer l’affirmation selon laquelle un grand nombre de dégradations impose de créer de nouvelles règles pour préserver davantage la zone.
  3. L’excuse de la responsabilité civile
    La signature de la convention de passage permet surtout de régulariser une situation qui traine depuis près de 30 ans. En effet, les sentiers autorisés par cette convention étaient inscrits au PDIPR sans être conventionnés. Il y avait donc une urgence à clarifier cette situation pour établir distinctement les périmètres du propriétaire et du Département en matière de responsabilité.
    Cependant, nous pensons que cela ne doit pas servir de prétexte pour restreindre l’accès à cet espace naturel. Comme le précise le code du sport dans son article 311-1-1, c’est au pratiquant d’évaluer et de gérer le risque inhérent à son activité en milieu montagnard. Il ne peut donc se retourner contre le propriétaire en cas d’accident. Le propriétaire n’avait d’ailleurs jamais été inquiété suite à un accident sur son domaine.

En conclusion

Si cette convention de passage peut sembler être une avancée significative, elle a en réalité été écrite sur mesure afin de répondre aux exigences d’un seul grand propriétaire terrien au détriment d’un grand nombre de visiteurs de cet espace. De plus, sous le couvert d’arguments discutables, elle crée un précédent et ajoute une surcouche de règles dans un espace naturel protégé qui dispose déjà d’une réglementation contraignante. Enfin, nous nous devons de rappeler l’utilité sociétale d’un accès à la nature élargi, d’autant que de juillet à septembre, la pratique des sports de nature en montagne ne semble pas être source de conflit d’usage, que ce soit avec la pratique de la chasse ou avec la préservation de la quiétude de la faune.
M. Laugier ayant indiqué qu’un premier bilan sera établi fin septembre à l’issue de la période estivale. Nous, associations de protection de la nature, collectifs citoyens et syndicats professionnels, demandons de participer à ces discussions pour trouver un terrain d’entente plus acceptable.

  1. Seule la FFRandonnée a été brièvement mentionnée lors de la conférence de presse.
  2. Le Dauphiné Libéré, 09 septembre 2023
  3. Comptages effectués en 2015 et 2020 ; Bilan d’activité RNNHdC 2019-2020
  4. Plan de gestion RNHC 2017-2027 Section A Partie 2
  5. Communications orales de Dominique Escaron lors de l’évènement Rando&Nous du 08/06/2024 et de la conférence de presse du 17/07/2024

Signataires